Grandeur et servitude de la Justice

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Grandeur et servitude de la Justice

 

Le métier de juge est passionnant, difficile, frustrant et parfois pénible. Passionnant, car il se trouve au carrefour des passions humaines. Le juge connaît mieux que quiconque la réalité sociale. Il est familier des intimités. Difficile, car il doit trancher, lui, qui ne peut s’en remettre à autrui. Certes, il peut être aidé dans son travail par des experts, mais il garde toujours la maîtrise de sa décision. Frustrant, car il doit une allégeance complète aux règles, aux normes et aux lois. Si sa personnalité peut s’exprimer lors du procès, ce n’est que dans ce cadre rigide. En matière civile, il doit avantager la partie qui a les meilleures preuves, pas celle qui a raison ; même si, la plupart du temps, heureusement, elles se confondent ! Sur le plan pénal, la chose est encore plus délicate. Bien sûr, il peut arguer de son intime conviction, mais si un doute raisonnable persiste, il doit faire pencher la balance du côté de l’accusé. Même si son intuition subodore un autre résultat.

 

Il peut se trouver aussi dans une situation particulièrement pénible. Tel doit être le cas du président de la Cour d’assises des Ardennes, Gilles Latapie, qui juge en ce moment le tueur en série présumé, Michel Fourniret. Ce dernier encourt la sanction maximale, soit la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une mesure de sûreté définitive. C’est le lot, en France, pour les coupables des crimes les plus atroces. Le procès des Ardennes est très éprouvant pour les familles endeuillées. Elles voudraient savoir, connaître la vérité sur le martyr de leurs enfants. Face à la Cour, l’assassin présumé révulse le public en jouant, de manière choquante, avec ses droits de procédure. Il serait d’accord de parler seulement si un huis-clos était prononcé. Un jour il se présente à l’audience, mais refuse de piper mot. Un autre jour, il faut user de la force pour qu’il comparaisse. L’avocat général a dénoncé ces « pitreries grotesques » et sa « lâcheté ». Le président, au contraire, essaye, par tous les moyens, de l’amener à participer activement au procès. Le ton policé qu’il utilise à l’égard de Michel Fourniret pourrait susciter un certain malaise. Il a pourtant raison. Il sait trop l’importance de la vérité pour les familles des victimes, vérité qui est souvent leur dernier lien avec ce monde qu’elles ne regardent plus de la même manière depuis l’horreur. Pour l’obtenir, il vaut peut-être la peine de dominer ses sentiments et de surmonter bien des écoeuremments : grandeur et servitude de la Justice !

 

Léonard Bender

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